Quelques articles parus sur l'anthrOpo :
Import-export de richesses culturelles (Auteur : Hugo Lacroix)
Témoignage Chrétien - Jeudi 9 décembre 1999
“Parce que la culture n'est pas une marchandise comme les autres, Michèle Odeyé-Finzi, Thierry Berot-Inard, Nicolas Bricas, respectivement chercheurs en anthropologie, urbanisme et économie, qui ont tous les trois travaillé en Afrique et en Asie, ont fondé a Belleville quelque chose de très inattendu pour des intellectuels. Leur "boutique associative" du 44, rue de la Villette, dans le 19° arrondissement parisien, est remplie de jolies choses. Tissus merveilleux, bijoux d'homme ou de femme, statuettes sauvages, poteries domestiques,objets du quotidien ou de la fête qui, a priori, évoquent l'enchantement des sens plutôt que l'engagement concerté. Pourquoi des personnes ayant participé dans le tiers monde a des missions telles que la formation scientifique d'agriculteurs maliens ou le partenariat d'anthropologues et de psychiatres dans le système hospitalier sénégalais, se sont-ils transformés en boutiquiers du dimanche ? Employés de la Cité des Sciences, formateurs d'intervenants sociaux, consultants de la Protection judiciaire, de la caisse d'allocations familiales ... ils sont une quarantaine qui, membres de l'association Détours, où s'exerce une part de leur activité professionnelle, ont constitué la trésorerie d'achats de la boutique. 20% des honoraires issus des prestations de services effectuées par Détours sont immobilisés pour acheter l'artisanat du tiers monde. Les objers arrivent par fret aérien ou colis aérien jusqu'à l'Anthropo, nom tout trouvé pour cet entrepôt de trésors anthropologiques, dont le sens principal est de constituer le support d'une éducation multiculturelle, en plein quartier populaire peuplé de citoyens de toutes couleurs. Le respect de tous pour tous passe ici par la connaissance des cultures, des modes de vie, des styles de vie, des styles de pensée dont les objets sont intrinsèquement porteurs. La clientèle se presse à l'Anthropo autant pour parler de civilisation, de spécificités ethniques, de problèmes de développement que pour acheter quelquechose. En aval du commerce, c'est une convivialité populaire, un échange de connaissances, un partage du savoir anthropologique que l'on vise. "Il faut des détours anthropologiques pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui" a Belleville comme partout en France : telle est la conviction de ces chercheurs d'antipodes qui, paradoxalement, s'intéressent aussi leurs voisins rêvant leur boutique comme ouverte, interraciale, lieu de rencontres transversales mêlant toutes les classes sociales. Des étudiants, des chômeurs les aident. Des dames élégantes, avides de chiner, se sentent bien parmi les Pakistanais, les Chinois, les Sahéliens qui fréquentent la boutique, ayant pris gôut aux discussions savantes avec les ethnologues du coin. En amont, il s'agit de commerce solidaire, de liens permanents avec les hommes et les femmes impliqués dans les échanges avec le Sud. Lorsqu'elle parvient a Paris, la marchandise est déjà entièrement payée, achetée comptant a des associations de forgerons, de potiers, de tisserands d'Afrique de l'Ouest, à des familles nomades du Rajasthan, a des moines tibétains réfugiés au Népal. Donnant un débouché a cette offre artisanale, la boutique se charge simplement d'organiser une demande, de susciter un marché. Parmi les producteurs qui écoulent leurs marchandises a l'Anthropo, beaucoup sont Africains. L'Afrique est le continent des solidarités associatives. La solidarité organisée y constitue un phénomène de masse. A Dakar et Brazzaville, entre 70 et 90% de la population urbaine adhère a une association. Certaines sont d'origine traditionnelle : villageoise, familiale, religieuse ou politique. Mais dans beaucoup d'autres regroupements, de l'entraide féminine a l'association récréative, au sein de groupements d'épargne, le fait de s'associer devient une affaire personnelle. La parenté, le lignage, les castes n'ont aucune prise sur ces associations aux noms savoureusement citadins tels qu'Ami sélect, Amical Authentic, les Capables, Sans Souci... Dans le cadre d'une authentique solidarité, "le droit à l'entraide est le même pour tous" écrit Michèle Odeyé-Finzi dans Les associations en villes africaines (éditions l'Harmattan). Mais au coeur des grandes villes, sites modernes de compétition capitaliste, l'individu est confronté à sa propre faiblesse. Les fortes assurances identitaires s'émoussent. Les protections traditionnelles disparaissent et les gens s'associent. Leurs réponses aux rigueurs de la société concurrentielle et marchande s'intitulent Kaibar (Viens t'améliorer), Ufulal (Travaillons ensemble), Umentelal (Espérons). Le but de telles associaitions étant de se compléter mutuellement, souvent, lleurs membres souhaitent la présence d'intellectuels parmi eux. N'est-ce pas ce que l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma aime appeler l'humanisme africain ? Cette solidarité associative a-t-elle esssaimé dans un quartier de Paris ? C'est le pari que font les quarante personnes de Détours, engagées à remettre le désir, la curiosité, l'attirance pour la beauté au service de la reconnaissance de l'autre, du dialogue et de la réflexion politique. Les animateurs ne fuient aucune discussion, même un peu rude, avec les clients. Certains les accusent de pillage culturel, leur reprochant une expérimentation libérale, un tournant mercantile. Les vieux militants tiers-mondistes ne comprennent pas tous l'outil formidable que constitue pour l'échange de la parole un magasin comme l'Anthropo. Il est vrai que les prix pratiqués, entre 4 francs et 4000 francs, ramènent l'expérience dans le champ de l'économie sérieuse. Vrai aussi que la diversité des choses exposées referme des pièges subtils sur les désirs des visiteurs de passage. On s'assoit pour boire un thé en rêvant d'acquérir une sculpture cuite au fagot de la potière Seyni-Awa, active en Casamance. L'Afrique et l'Asie n'ont-elles pas le droit d'exister aussi par leurs ressources ? Face au tiers-monde, explique Michèle Odeyé, "on a tout réduit à de la pauvreté économique, sans tenir compte de la complexité des systèmes, alors que ce sont des sociétés qui tiennent et ne survivent que par leur complexité". Contre toutes les simplifications, l'esprit critique de l'association s'est déjà exprimé dans un bilan demandé à ses chercheurs sur vingt ans de projets de dévelopement menés dans le tiers monde. Intitulé Des machines pour les autres (Librairie PHF), ce document est riche de témoignages à la première personne, sans langue de bois. On découvre en le lisant la faillite des "technologies appropriées", des machines extraordinaires destinées à un tiers monde étrange qui préférerait, pour se développer matériellement, des astuces de scout et des engins poético-mécaniques dignes du sculpteurs Tinguely. Poésie de la citoyenneté, l'Anthropo rejoint la pensée de Rabelais, avec l'Afrique pour indispensable ornement de l'humanisme, "comme assez savez que Afrique apporte toujours quelque chose de nouveau".”
Ethnique en diable
Art & Décoration - 1999
“Quelques-uns de ces éminents spécialistes que sont les anthropologues, tous nomades par obligation professionnelle, ont décidé de réunir leurs découvertes, glanées au gré des marchés du Népal, des villages de l'Inde, des commerces familiaux d'Afrique de l'Ouest et des échoppes d'artisans du Tibet. Une idée qui mettra forcément la puce à l'oreille de tout amateur d'objets exotiques, authentiques et, parfois, fantastiques. Et qui favorise la diffusion de ces artisanats, et de la culture qu'ils véhiculent.”